Je n'arrive plus à me mettre à écrire. Je suis trop fatiguée, et je prends du retard dans ce que je voudrais tenir. Plus le nombre de jours de retard grandit, et plus j'ai du mal à m'y attaquer.
Aujourd'hui, retour à Paris.
Je prépare le petit déjeuner pour mon époux·e, et nous partons pour un date ensemble à Nantes. Nous mangeons des galettes tout près de la gare, ce qui me permet de prendre le train rapidement après le dessert (galette de sarrasin beurre sucre, bien croustillante).
Dans le long trajet en train pour Paris, j'écris les journées de lundi, mardi et mercredi. Je me promets d'essayer de ne pas laisser s'accumuler les jours de retard, mais écrire dans le train, captive de mon siège et ma voisine envahissante, est un bon moyen d'occuper ce temps. Je prends du plaisir à aller chercher les photos et captures d'écran d'Animal Crossing, que j'avais préparées la veille. Je regrette que la fonction de partage automatique des photos de la Nintendo Switch soit une fonction réservée à la Switch 2, ça ressemble vraiment à une limitation arbitraire et pas technique, juste pour pousser à l'achat.
Dans le train, je commence une nouvelle broderie, que j'ai choisie portable, contrairement à mes quelques projets précédents. J'essaie le remplissage en blackwork pour la première fois, et c'est plus difficile que je pensais, avec ma longue expérience du point de croix. C'est peut-être juste une question d'habitude, mais j'ai l'impression que ça demande une plus grande concentration.
J'étais ambitieuse, c'était peut-être compliqué pour un premier essai.
Le RER B est en travaux, je dois prendre deux bus en remplacement pour arriver chez ma co-maman. Je les trouve dans le jardin devant l'immeuble. Il se passe quelques secondes pendant lesquelles je peux regarder mon fils jouer avec deux enfants de la résidence. Ils ont quelques années de plus que lui, ce qui signifie, à leur âge, presque le double du sien, mais ni lui ni eux ne semblent en tenir compte. Je suis fascinée par sa sociabilité. Puis il me voit, me reconnais de loin, et il court de toutes ses forces en criant de joie « Maman ! C'est Maman Jena ». Il saute dans mes bras dans une chorégraphie bien répétée, je profite de son énergie cinétique en tournant sur moi-même et il est dans mes bras pour un long câlin.
Nous rentrons, il me montre ses nouveaux jouets. Nous assemblons deux vieux puzzles ensemble, pour le plaisir, comme un rituel de reconnexion, nous les connaissons par cœur, il n'a même pas besoin de chercher où la placer quand il prend une pièce. Je lui offre un avion transformable en dinosaure, qui associe deux de ses passions, puis un livre qui raconte l'histoire d'un jeune coq en crise existentielle parce qu'il préfère se lever tard et vivre la nuit. Vue comme je ne suis pas du matin, je plante des graines qui nourriront peut-être des discussions sur le sujet.
J'essaie d'avoir une communication émotionnelle très explicite avec lui, parce que je ne suis pas là assez souvent à mon goût, parce que je crois que ma co-maman ne parle pas beaucoup d'elle-même (mais ça peut être un biais d'observation), et aussi parce qu'assez probablement il va grandir comme un garçon dans notre société™. Je lui dis quand je suis contente de le voir, lui propose des câlins, et je lui dis, de temps en temps « Je t'aime, Prénom ». Ça n'a jamais suscité de questions de sa part, une fois récemment une réponse « Moi aussi je t'aime », qui me laisse penser que le mot, voire le concept, ne lui sont pas étrangers. Toujours ces moments étaient des moments à deux, jeux, habillage, changement de couche.
Ce soir, nous étions à table à trois, et sans prévenir, il a dit « Je t'aime, Maman ».
J'ai l'impression d'avoir accompli quelque chose. Je suis émue, très fière de lui, et de nous.
Fatiguée par cette journée, je m'endors avant lui pendant que ma co-maman nous raconte Maman, Mamoune et moi au milieu, notre livre doudou.
Aujourd'hui, nous allons au marché pour faire le plein de légumes pour la semaine. Je m'arrête chez un vendeur de vélos pour poser des questions sur l'occasion et le modèle que je recherche. Nous prenons deux lattes à emporter et nous rentrons à l'ombre, la vague de chaleur a repris.
Aujourd'hui ça fait cent jours que je tiens ce journal en ligne. Je suis assez fière de ma relative constance, même si le rythme est moins régulier que je voudrais. J'essaie d'être clémente avec moi-même.
Dans notre appartement précédent, j'avais taillé sur mesure des plans de travail en bois pour la cuisine, et j'avais réussi à les recycler dans notre cuisine actuelle, en les complétant avec un nouveau panneau, et des chutes de la première découpe. J'avais poncé et verni le nouveau panneau, mais il semble à l'utilisation que deux couches n'étaient pas suffisantes pour une utilisation quotidienne ; et les morceaux recyclés avaient été cirés mais pas vernis, donc toujours susceptible de prendre des marques de liquides. Mon époux·e a profité de ma dernière absence pour vider les plans de travail pour commencer à poncer, mais n'a pas réussi à finir à la main, j'ai terminé à la ponceuse électrique avec les feuilles que nous avions quand même trouvées, et mon époux·e a pris le relai pour poser cinq couches de vernis, ce qui devrait être maintenant plus rassurant.
Je relance l'agence qui m'avait inscrite à l'entretien d'embauche de mercredi. Comme c'est prévisible, l'entreprise qui promet de rappeler, quel que soit le résultat, ne rappelle pas quand le résultat est négatif. Je contacte une autre agence, avec laquelle j'ai déjà travaillé, pour confirmer que je suis intéressée par le contrat qu'elle m'a proposée : travailler trois semaines en support informatique pour un client prestigieux, à qui j'avais déjà donné satisfaction à la rentrée l'an dernier. Confirmation après la fête nationale.
Alors que je brode mon calendrier de températures, ma co-maman fait signe, et je passe quelques joyeuses minutes en visio avec elle et notre fils. Nous sommes interrompu·es par un appel d'un·e ami·e qui propose de nous conduire à un évènement associatif prévu ce soir-là. Je réalise alors qu'il est dix-neuf heures, et que ce soir-là c'est maintenant : nous nous préparons rapidement, assemblons même de quoi participer au pique-nique, et nous sommes en route.
Le pique-nique est l'occasion de passer du temps avec mon amoureuse de Nantes, et avec un ami qui habitait Paris aussi, et qui l'avait quittée pour la Bretagne avant notre départ. Je suis heureuse de le retrouver, le monde queer est tout petit, et parfois, ça permet de jolies surprises.
Nous rentrons à pied pour essayer de dégourdir mes jambes endolories par la station assise sur la couverture de pique-nique. Je sais que j'aurai encore mal demain.
Aujourd’hui, malgré mes meilleurs résolutions de ne pas m’éloigner de mon canapé, je suis sortie trois fois.
Nous avons accompagné le frère de mon époux·e à la gare pour son départ vers Paris, et nous nous sommes posées pour un petit date en amoureuses en ville avant de rentrer, pour célébrer notre intimité retrouvée.
L’après-midi, nous sommes ressorties pour nous promener un peu et ne pas rester trop dans l’obscurité de nos volets fermés pour ne pas offrir l’intérieur de l’appartement à la morsure des rayons du soleil. Nous avons acheté de la glace, des cadres en solde, et du lait d’avoine. Nous avons échangé nos nombreuses photos du festival, et aussi les photos que nous prenons l'une de l'autre. J'aime ces sessions irrégulières où nous passons en revue notre passé récent, trions des photos, et nous attendrissons du point de vue de l'autre.
Enfin, au coucher du soleil, je suis allée à vélo nourrir les chats de ma cliente. Je sens que j’ai du mal à tenir le rythme de l’écriture quotidienne, quand je contiens ma culpabilité de ne pas arriver à écrire tout ce que je voudrais, par exemple pour les concerts de dimanche, ou la réécriture du synopsis. J’écris de plus en plus, ça prend de plus en plus de temps sur la journée, du temps que parfois je préférerais passer blottie contre mon époux·e, qui ne s’en ai pas encore plaint, mais je projette pouvoir se sentir seul·e lorsque je suis si longtemps face à mon clavier, silencieuse, si loin, si proche.