J’ai parfois des pulsions de câlins. C’est comme l’envie d’être proche, plus proche encore, l’envie d’être intime avec, tous ces mots que je voudrais prendre au premier degré et pas comme des euphémismes du sexe. C’est doux, tendre, c’est l’envie de se respirer d’un peu plus près, de se goûter l’âme, et le cœur.
C’est comme une pensée intrusive qui fait signe quand je rencontre quelqu'un la première fois, puis souvent quand je les revois, ma peau qui murmure : un câlin, là maintenant, ça serait bien, ça serait juste. Le contraste pour moi est saisissant, parce que je ne suis pas à l’aise dans le contact physique, particulièrement avec des inconnus.
Alors que je me suis déjà décrite hypersexuelle dans une vie antérieure, je suis fermement greysexuelle. La disparition de toute libido, associée aux antiandrogène, a été un petit traumatisme pour moi, une redéfinition imprévue de cette partie de mon identité. Mais la fin de la libido laisse beaucoup de temps libre, et de sang disponible pour le cerveau – les deux composantes nécessaires pour réfléchir – et réaliser que la perception hypersexuelle était imposée par mon entourage, et pas choisie ; que c’était un rôle commode à endosser pour être acceptée socialement. À l’instar de mon emploi d’assistante administrative, c’est quelque chose que j’ai appris à faire, et à bien faire, mais pas ce que j’ai envie d’être.
À mon psy, j'ai parlé de la douleur de constater qu'une fois que j'arrête les efforts vers ma famille héritée, les signes de leur part s'arrêtent ; et quand j'ai parlé de la sensation d'isolement que me procure le fait de voir mes amies, exes et amoureuses s'amuser en groupe par leurs histoires a posteriori, je reviens à la même douleur familiale. Quand je crains de moins voir mon enfant si je contrarie ma co-maman, je reviens aux mêmes peurs. Ça fait réfléchir à ce que j'ai choisi avec ma famille héritée : j'ai remplacé le stress quotidien par une douleur sourde et permanente. Je connais ce creux, il m'accompagne depuis les cours de récréation, le paradoxe autistique de vouloir être incluse, mais d'être exténuée par les interactions et le bruit. Au moins maintenant je sais le prévoir, mais ça ne résout pas le manque.
J'ai choisi de quitter Paris parce que Paris me tuait, pour trouver le calme à la campagne, et je n'y trouve pas d'équilibre.
Je ne fais pas un parallèle avec une scène du film The Hours, mais elle tourne dans ma tête alors je la partage avec le psy, qui semble la connaître aussi bien que moi. Lui l'a vu il y a peu, mais moi les dialogues résonnent comme des acouphènes, que je le veuille ou pas. Leonard et Virginia ont quitté Londres pour trouver le calme à la campagne, parce que les médecins ont déterminé que la vie sociale frénétique de Londres tuait Virginia. Elle est partie contre son gré, et se morfond à Richmond, et rêve de revenir à la capitale. La comparaison est brève : c'est moi qui ait voulu partir, et je ne veux pas revenir à Paris. Je voudrais être sereine à la campagne, et une vie sociale me manque. J'avais aimé faire cette comparaison au moment de quitter Paris ; maintenant je détesterais me retrouver dans Virginia qui hurle vouloir repartir.
J'aimais ma sluttiness parisienne ; j'ai encore beaucoup à écrire sur mon spectre asexuel, l'impact de la transition, des hormones, du déménagement. En attendant, ma slut est en manque. Elle veut reprendre du service.
J'aime ces moments de connexion avec mon psy, l'impression d'être entendue, et j'aime qu'il fasse des commentaires. Il me parle du lien à la douleur de la vie, et à la mort, du fil qui est façonné, mesuré et coupé par les Heures. Je l'interromps.
« C'est drôle, j'ai essayé il y a quelques jours d'insérer une références aux Parques dans le scénario que j'écris avec une amie.
— Je ne suis pas surpris.
— Mais vous venez de faire un lien entre The Hours et les Heures, les Parques, et j'ai la tête qui explose.
— Il semble que ça ne soit jamais évoqué dans les critiques mais pour moi c'est un lien fort entre les deux, oui. »
J'explose, mindblown, je n'arrive plus a me contrôler. Les larmes montent. Le film joue en accéléré dans ma tête.
« Je viens de comprendre le dernier monologue de Richard. »
Je n'arrive plus à parler à travers mes larmes. Il ne peut plus que m'attendre. J'ai adoré ce film depuis plus de vingt ans, il a changé ma vie, la musique que j'écoute, j'ai littéralement vécu à Richmond avant de venir vivre à Paris. Et je suis passée à côté de ce parallèle. J'ai besoin de voir le film de nouveau, avec ce nouvel élément. Qui veut m'accompagner ?
J'ai passé la soirée dans Animal Crossing: Wild World (sur Nintendo DS) : la découverte de ce jeu après avoir passé autant de temps dans la version New Horizons est bizarrement émouvante. On y rencontre des personnages déjà présents il y a quinze ans, des musiques sont très proches, les bruitages, les mécanismes, je suis émerveillée à la fois de l'ingénuité de faire tenir un jeu de cette taille sur une console de poche, et émue de tenter de me mettre dans la peau de quelqu'un qui découvre la version actuelle du jeu après avoir vécu les différentes versions originales. Je crois que je ressens quelque chose de similaire lorsqu'un rappel (un "callback", en termes scénaristiques ?) est réalisé avec succès. Parce que je suis bonne cliente, j'ai trois exemples en tête, spontanément, et sans nulle doute je pourrais rapidement en trouver d'autres :
Bref, Star Wars fournit évidemment un bon nombre de rappels plus ou moins efficaces, avec cette obsession de prequels. It's like poetry, it rhymes. Et ça fonctionne très bien sur moi.
J'ai fait une crise d'angoisse en lisant les deux pages sur moi dans le livre Transphobia d'Élie Hervé. Ça n'est pas de la faute de l'auteur : l'histoire que je lui ai racontée est une des pires de ma vie, et je la garde soigneusement hors de ma tête quand je le peux. Mais aussi, je suis certaine d'avoir utilisé d'autres mots pour parler de moi, je suis certaine d'avoir choisi mes mots avec soin, comme je le fais à chaque fois. Je l'ai fait lire à mon époux·e, et iel me confirme que tout est juste, le problème n'est pas avec l'auteur, qui a rendu un travail admirable et nécessaire, et j'ai été touché qu'il parle de moi avec tendresse dans ses lignes. Simplement, lire mon histoire synthétisée en deux pages, donc avec des mots qui ne sont pas les miens, m'a confronté à une réalité plus objective de ce que j'ai vécu, brutalement. Mais tout aussi brutalement, comme les mots ne sont pas les miens, on pourrait me prêter des mots qui ne sont pas les miens, et ma crise d'angoisse est là : j'ai eu peur que mon exe transphobe et abusive les retourne contre moi.
Cette année, ça fait dix ans que j'ai réussi à la quitter, et j'ai encore peur d'elle.
Comme à chaque départ, et ça semble partagé par nombre de personnes neurodivergentes, c'est très difficile de faire quoi que ce soit de productif ou d'intéressant avant une échéance importante dans la journée. Ma stratégie quand je peux : je cale mes rendez-vous psy, médicaux, pro, vers 10h du matin. Pas trop brutal pour le réveil, mais pas le temps de se sentir paralysée par la peur de manquer le rendez-vous si je m'absorbe dans une tâche, ni la frustration de ne pas arriver à penser à autre chose que l'heure de partir. Mes départs pour Paris répondent à une logique différente : je cale mon arrivée sur l'heure de la sortie de la crèche, donc je pars de chez moi entre midi et 14h selon les trains, selon si quelqu'un souhaite déjeuner avec moi avant mon train.
Aujourd'hui cependant, j'ai essayé de lutter contre ça. Comme hier j'ai annoncé une surprise pour le retour de mon époux·e, évidemment iel l'a vue, j'ai décidé de lui faire une autre surprise, cette fois-ci sans la publier. J'ai donc travaillé environ une heure sur… vous verrez bien.
En 2021, j'ai été opérée du front. Le but était d'aplatir mes arcades sourcilières, dont la rotondité m'a fait du mal depuis qu'elles ont poussé, tard dans mon adolescence. Le résultat m'a plu tout de suite, j'en suis très heureuse, je recommande à la fois la procédure et le chirurgien. C'est une opération complexe : il faut enlever la peau, changer la forme des os, renforcer les sinus fragilisés par une plaque de métal.
Début 2024, j'ai été malade du covid. Ce n'était pas la première fois, mais c'était la plus grave, j'ai dû aller à l'hôpital pour une infection des sinus traumatisante.
Et là, depuis quelques jours, j'ai mal au front. Je stresse terriblement de ce que ça peut bien signifier, parce qu'il ne me vient pas d'explication bénigne. Je n'ai pas eu de choc, je ne suis pas malade. Au départ j'ai senti une bosse, puis la bosse était sensible ; maintenant elle provoque une douleur vive, parfois même juste en bougeant les sourcils.
Demain j'appelle le chirurgien. En attendant si vous avez de bonnes idées ou des mots d'encouragement, j'ai besoin d'aide.