Ooooh de la représentation lesbienne, fun, bi, trans, slut, cœur d'artichaut, ça fait du bien.
Nous entendons la musique avant de voir la scène, en arrivant dans la Valley le concert a déjà commencé.
Je dois reconnaître que je connais très mal le groupe. J'ai écouté quelques morceaux en boucle, recommandés par mon amoureuse ; j'ai été fascinée par la silhouette mélancolique de John Famiglietti dans la vidéo de Ashamed (of being born). J'y projette évidement énormément de choses personnelles, il y ressemble à une gigantesque version de moi pré-transition, le choix des messages lisibles dans cette vidéo souvent floue ("Looking for a girlfriend - female optional", le portrait de lui enfant suivi de manière presque subliminale par une pierre tombale) me fait penser à un coming out, mais ça n'est pour l'instant pas le cas. La vidéo de Children of Sorrow, où il représente (il produit al musique et co-réalise les vidéos) les trois membres du groupe en Waifu dance team vaut le coup d'œil. Bref, quand on cherche des signes, je les vois partout.
La foule n'est pas compacte, c'est facile de se frayer un chemin vers la plateforme PMR dont la rampe est derrière la console de la régie face à la scène. Nous sommes bien installées, au dessus du public, assise au second rang de la plateforme.
Sur le site du festival South of Heaven, qui commence le lendemain, et bien que tout le staff sur place porte un très beau t-shirt aux couleurs South of Heaven, le concert de ce soir n'en fait pas partie.
Dans ma vie de fan de Radiohead ou de Sigur Rós, entre autres, j'ai organisé un bon nombre de voyages exprès pour des concerts, et il y a quelques années j'ai tiré la conclusion que même si je suis parfois très émue par une belle performance scénique, je paie aussi un prix à la fois en fatigue et en argent, et je n'étais plus très sûre que je voulais le faire. J'ai ralenti les concerts, même à proximité, avec la pandémie. Le périple de ces quelques jours est donc une énorme entorse à cette règle que je ne me suis pas vraiment imposée, et je pense que je ne pourrai en faire un bilan qu'après avoir récupéré.
En arrivant j'ai été frappée par deux éléments qui contribuent à mon affection pour les Pays-Bas. Le premier, devant l'entrée sur site du festival, il y a un grand parking vélo, et le parking voiture est à cent mètres environ. pas de bruits de moteur, seulement la musique. Le second, c'est l'atmosphère : alors que nous faisons la queue pour le contrôle des billets puis la fouille réglementaire, les gens patientent avec le sourire. Les contrôles sont détendus, les vigiles que j'ai l'habitude de voir pathibulaires sont souriants, patients, pas de tri sexué parce que pas de palpation. Le climat de peur permanente instauré par l'état d'urgence habituel, les militaires armés dans les rues, les rappels de faire attention au pickpockets, maintenant remplacés par les rappels que si vous oubliez vos courses une équipe de démineurs viendra boucler tout le secteur. Monstres & Compagnie était visionnaire. Bref j'ai beaucoup apprécié ce contraste.
J'avais prévu des billets PMR pour mon époux·e et moi, et des billets valides pour son frère, et pour mon amoureuse qui n'a malheureusement pas pu venir avec nous. Nous nous sommes dirigées par la plateforme prévue pour les personnes handicapées, qui offre une bonne vue de la scène, même si un peu lointaine, où quelques personnes en fauteuil roulant étaient déjà installées. Mais pour nous, qui marchons avec des cannes et ne pouvons pas rester debout longtemps, rien. Je me suis donc missionnée d'aller trouver deux chaises. Je pensais que ce serait simple, et ça a été un sacré casse-tête : j'ai demandé à la sécurité, qui est une société extérieure, qui m'a dirigée pars le staff qui s'occupe du contrôle des billets, qui n'en savait rien et qui était logiquement bien occupé par leur monotâche. Personne n'a su mettre la main tout de suite sur le personnel de secours médical, ce qui est inquiétant mais pas urgent. On m'a indiqué une personne plus âgée qui semblait en charge, qui a envoyé des messages, passé des appels, sans rien trouver mais qui est venue avec moi près d'une table afin que je puisse m'asseoir pendant qu'elle faisait ses recherches. Elle m'a suggéré de patienter sur les bancs d'un des bars, en attendant qu'elle parte enquêter.
Dans le demi-sommeil de mon réveil trop matinal, après quatre heures de sommeil, j'ai une chanson de Bright Eyes dans la tête. Le tambourin lancinant frappe à la porte de ma conscience et d'un coup, sursaut : j'ai oublié cette chanson dans ma narration hier soir. Je suis passée à côté alors qu'elle était à la source de mon tunnel de recherches, cette phrase fascinante, chantée par un homme :
"Everything is as it's always been
This never happened
Don't take it too bad, it's nothing you did
It's just once something dies you can't make it live
You're a beautiful boy, you're a sweet little kid
But I am a woman."
Les guillemets font partie de la citation : l'auteur rapporte les propos de son amie. Mais le contraste entre sa voix et ces paroles ont bercé le début de ma vie d'adulte, j'ai aimé chanter ces paradoxes pour des raisons évidentes, rétrospectivement.
Maintenant que j'en sais un peu plus sur sa vie, maintenant que j'ai proposé mon fil narratif (dans l'épisode 34 de Un Podcast Trans), j'entends les paroles différemment, c'est évidemment l'héroïne de mon histoire qui parle, l'héroïne que l'auteur a tant aimée.
Bon, j'ai envie de l'ajouter au montage à l'épisode d'hier, c'est malin.